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003.- Le Journal de Macafé

003.- Le Journal de Macafé

Elle avait treize ans. C’était le jour de son anniversaire. Elle marchait. Elle criait. Elle poussait des cris forts à réveiller des morts. Des cris qui parlaient. Qui racontaient une histoire qu’elle-même ne connaissait pas. Sa propre histoire. Elle marchait, vêtue de blanc pour porter le deuil de sa mère. Tu es trop jeune pour porter du noir, pensait, Grann Yaya. Cette couleur pèserait trop lourd sur ton innocence, disait-elle. Pour la fête des mères, tu attacheras une fleur de couleur mauve près de ton cœur. Tu poseras une bougie allumée sur sa tombe et un godet de café le jour des morts. Désormais, à chaque fois que viendra le jour de ton anniversaire et que tu remercieras les anges qui te protègent et qui guident tes pas, tu penseras à Amissia, cette jeune fille qui avait l’âge que tu as aujourd’hui, qui a préféré abandonner la vie pour te donner son souffle. Quand tu penseras à elle, rappelle-toi qu’elle a laissé son âme sombrer dans l’ombre de la mort pour te transmettre sa lumière. Elle marchait, elle criait. Elle criait pour tous ces jours passés sans pleurer la mort de sa mère en se dirigeant vers sa tombe, comme Grann Yaya l’a demandé.

 

Bonjour Madame ! Ma mère n’est pas là. Comment puis-je vous aider ?

Rachelle ne pouvait pas dissimuler la peur qui s’appropriait son être au moment où son regard croisa celui de sa visiteuse. Elle avançait vers elle, tenant son ventre entre ses mains comme pour attirer son attention sur sa fragilité. Les deux femmes se regardèrent longtemps dans les yeux avant que la mystérieuse inconnue décide de répondre, avec une pointe d’ironie, à la question de son hôtesse visiblement embarrassée par sa présence:

-          Ahh ma petite, il est clair comme de l’eau de coco que la personne qui a besoin d’aide ici et en ce moment, c’est toi. Prisonnière de ce secret anormalement têtu, tu es condamnée à être l’adolescente qui s’est laissée engrosser par ambition et arrivisme; elle rit à gorge déployée.

-          Madame vous ne me connaissez pas et vous ne connaissez pas mon histoire. Pourquoi me jugez-vous si sévèrement ?

-          Tu te trompes petite chérie, je te connais bien. Et ton histoire, tu veux que je te la raconte ? La dame dévisagea la jeune fille un moment. Tu t’es crue maline, poursuivit-elle. Comme une petite couleuvre, tu t’es glissée dans le lit de l’ancien ministre, tu t’es laissée attirer par sa position et son argent. Les gâteries de maman et de papa ne te suffisaient pas. Il te fallait plus, toujours plus. Cela ne te dérangeait pas qu’il soit plus vieux que ton père, ton image de fille riche devait rester intacte aux yeux des autres petites garces de ton espèce qui te servent de copines. Mais cette arrogance n’a pas plu à l’une des maîtresses du monsieur. Elle a voulu te punir pour avoir eu la mauvaise idée de venir jouer dans la cour des grands. Dans ton immaturité tu lui as rendu la tâche tellement facile. Tu es tombée enceinte, ta grossesse est devenue ta prison. Si j’ai oublié quelque chose, dis le moi !

-          Qu’est-ce que vous me voulez madame ?

-          Je veux vous prévenir que si ta famille et toi ne touchez  qu’à un seul cheveu de mon fils, je viendrai dans cette maison même et je ferai sortir ce petit morveux que tu portes depuis un siècle dans le ventre par tes narines. Petite insolente, ai-je été claire ?

 

Carmelle et sa cousine étaient assises par terre, dos au mur, dans une salle de la prison utilisée les jours de visites. La plupart des détenues restent debout pour recevoir parents, enfants, amis. Ce n’était pas grave, car la durée de la visite n’est pas longue. Il n’y a jamais assez de temps pour une plainte, une consolation ou une prière. Il n’y a jamais assez de temps pour des mots d’encouragements ou pour se faire passer un savon. Pas assez pour rire, ou sourire. Trop peu pour donner ou demander. Il n’y en avait pas plus pour un geste d’affection ou pour une expression de colère. L’espace sentait le désespoir et la désolation. Il faisait froid.

-          T’inquiète pas, on a du temps. J’ai donné tout mon avoir aux gardiens pour qu’on puisse discuter tranquillement. Dépêche-toi de finir ta soupe pour me raconter une de tes fascinantes histoires.

-          Je vais apporter le reste à Cindy.

-          Ahh ! tu as fini par te faire une amie. Contente pour toi. J’espère qu’elle va réussir à te convaincre d’arrêter de te battre avec les anciennes. Ce n’est pas que je suis d’accord avec ces théories de merde qui veulent que les femmes soient douces et tendres sans la moindre mine d’agressivité. Mais je pense sincèrement que ce serait pas mal que vous essayiez de projeter votre colère sur autre chose que sur les autres.

-          Mais tais-toi donc ! Tu parles et tu parles et tu parles. Et tu n’écoutes pas. Cindy n’est pas une fille.

-          Pardon ? Il y a un homme dans la prison des femmes ? Et il s’appelle Cindy ? Comment ça se fait ? Pourquoi ? Raconte !

-          Calme-toi chouchou. Et puis je n’ai jamais dit que c’était un homme non plus. En fait, elle est le seul fils de sa mère. La pauvre, elle a dû élever l’enfant seule et elle-même était une enfant à l’époque. Son père l’a foutue dehors après sa grossesse pour éloigner le péché de sa maison afin de ne pas perdre les bénédictions de l’Éternel.

-          N’importe quoi.

-          Certains mal-parlants disent qu’elle serait sa sœur aussi.

-          Quoi ? Que son père l’aurait violée et mise enceinte ?

-          Cindy a seize ans maintenant. Seize ans, et la rumeur persiste toujours.

-          Peut-être que ce n’est pas qu’une simple rumeur.

-          Et je ne sais pas pourquoi sa mère l’a prénommée Cindy, je suis sûre que cela a quelque chose à voir avec ce trouble de personnalité.

-          Mais non. Qu’est-ce que tu racontes ? Tiens, tous les Jean Claude ne sont pas Duvalier ; il y a Van Damme aussi, et tous les autres.

-           Cindy ne s’est jamais considérée comme un garçon, mais on refusait de la voir comme une fille.  À l’église, à l’école, dans son quartier c’était la galère. On se donnait le droit de l’insulter ou de la taper. Un jour, le fils d’un grand Don l’a attaquée. Pour se défendre, Cindy l’a giflé avec au majeur une bague qui a laissé une marque au visage du jeune homme. Le père l’a faite jeter en prison sans dossier.

-          Seigneur !

-          Les prisonniers ne « la » supportaient pas. Ils « la » battaient tous les jours du bon Dieu. Pour sa propre sécurité, on l’a transférée ici. Moi je te le dis chouchou, ce garçon est la fille la plus gentille que j’ai jamais rencontrée. Je « la » protègerai envers et contre tout.

-          Quelle histoire !

 

Darline Gilles (Manzè Da)

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