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N° 002 - Je peins donc je jouis : Une formule Tessalinienne de Mars

N° 002 - Je peins donc je jouis : Une formule Tessalinienne de Mars

Dans le langage haïtien, le mot pinceau peut aussi évoquer une pratique sexuelle. Il s’agit de caresser le clitoris de sa partenaire avec son pénis, en répétant les gestes de peindre. Le pinceau peut être pratiqué comme préliminaire. C’était aussi un moyen de faire jouir sa copine, sans la pénétrer, soit pour la dépuceler sans trop la faire souffrir, soit pour protéger sa virginité un peu plus longtemps. Je sais tout cela parce qu’un voisin me l’a proposé une fois. Je n’avais pas 15 ans et je n’avais même pas encore eu mes premières règles. Et lui, marié, approchait la quarantaine.  Il m’a dit une fois : « je comprends tes réticences, tu dois être encore vierge. Mais ne t’inquiète pas, j’irai en douceur avec des coups de pinceaux ». Le lendemain, je suis allée me renseigner auprès des ainées, à l’école. Elles m’ont expliqué. Et j’ai surtout retenu que cette pratique procurait beaucoup de plaisir. Et j’ai toujours voulu savoir ce que cela faisait ressentir de peindre. Savoir jusqu’où menait la ressemblance de ces deux activités. Enfin bref ! Assez parler de moi et ma curiosité de fille dérangée. Ce numéro d’intimi’thé est consacré à l’artiste Tessa Mars qui nous a confié à Gio et moi, son rapport avec les pinceaux. Je précise que c’est une peintre, donc par pinceaux, j’entends ces petits outils composer de fibres attachées à l’extrémité d’un manche plus ou moins fin qu’elle utilise pour travailler.

Tessa Mars

Tessa Mars

Pour présenter l’artiste, je vais être très sélective par rapport aux informations que je vais aligner sur ce papier. Je ne vois pas la nécessité de vous dire qu’elle est née à Port-au-Prince en 1985 et qu’elle a grandi dans cette ville qui lui a fait vivre des jours heureux et des moments aux couleurs dolentes. Pour garder la gaité qui danse entre ces lignes, je ne vous parlerai pas du viol qu’elle a subi en étant enfant. Je ne vais pas vous raconter que le choix de devenir artiste lui est tombé dessus comme une goutte de pluie qui s’échappe d’un ciel clair. Qu’elle est partie en France à 17 ans, pour faire des études en Arts Plastiques à l’Université Rennes 2. Que licenciée, elle est revenue au pays et commencé à travailler à la Fondation Africamérica comme Coordonnatrice de projets culturels. Pourquoi mentionné que la première exposition qu’elle a faite dans le pays a eu lieu en 2009 au Musée Georges Liautaud de Croix des Bouquets ? Ou qu’en 2011, elle a représenté Haïti à la Biennale de Venise ? Je ne dirai rien des voyages qu’elle a faits ni de ses résidences artistiques dans les pays étrangers. Je ne vois nullement l’intérêt de noter qu’elle a été Lauréate du programme « Visas pour la création 2015 » de l’institut français. Encore moins qu’elle donne des cours au Centre d’art. Je me contenterai de rapporter ce qu’elle nous a dit de son travail comme peintre, lors de cet entretien réalisé un beau samedi du mois de mai.  

N° 002 - Je peins donc je jouis : Une formule Tessalinienne de Mars

La rencontre a duré plus d’une heure. Un moment assez pour elle d’exprimer toute sa joie de vivre et partager des fous rires empreints d’une étonnante sensualité. Cette douce, mais énergique résonnance collait bien à l’ornementation de son atelier. Des femmes rondes nues en différentes dimensions dispersés dans la pièce n’ont pas manqué d’effleurer ma sensibilité. Des contrastes en carnaval. Des os brisés par ci, des têtes de nouveau-nés au milieu de paillettes d’or et d’argent par là. Des toiles inachevées. Une autre femme ronde nue protégée par des écailles, mystérieusement coiffée de cornes, porte des lunettes renversées tenant la main d’une fille. Encore des paillettes. Puis des écailles. Et une autre femme. Ronde comme elle. Nue comme ses éclats de rire.

N° 002 - Je peins donc je jouis : Une formule Tessalinienne de Mars

Elle nous a installés. Ou pas. Je me rappelle plus, ce n’est pas important. Puis elle a commencé à parler pour répondre à la première : Pourquoi la peinture ?  

« Je pense en image, je parle avec des images. J’aime pouvoir raconter sans avoir à utiliser des mots. »

Tessa Mars, après ses études, est rentrée au pays avec la technique, le savoir et le savoir-faire de son art. Mais il lui manquait encore son identité artistique. Ou du moins, ce pouvoir de se créer une identité à la forme et aux couleurs de ses émotions. Alors elle a commencé à chercher dans son entourage. Elle est allée vers l’autre. Sortie dans sa zone de confort.

« Je suis allée voir les artistes de la Grand-rue pour découvrir une autre dimension esthétique des arts plastiques. »

Elle a puisé dans les traditions familiales. Passer en revue des histoires intimes. Elle a fouillé dans son enfance. Pour enfin se définir sur plusieurs moments. À ces moments-là, elle a vu une maturité grandissante habitée son travail. Elle commençait à avoir confiance. Se sentir prête à assumer ce qu’elle racontait sur ses toiles. Prête à les signer.  C’est à ce moment-là qu’on retrouve dans ses expressions picturales sa spiritualité, sa liberté, le confort ressenti dans son corps ou tout simplement ses sentiments.

N° 002 - Je peins donc je jouis : Une formule Tessalinienne de Mars

Ses palettes exposent toujours un peu d’elle-même. En peignant des os brisés ou des parties du corps fracturées, elle parle de ses deux bras cassés, de son bassin et d’une hanche fracturés dans un accident qu’elle a eu en 2012. Un évènement qui l’a fait prendre conscience de la fragilité de nos vies sur terre. « J’ai compris que je ne suis pas immortelle, ni exempte des malheurs. Alors j’ai eu une nouvelle perception de la vie, de la liberté et de moi-même. » Mais malgré ses longues séries d’autoportrait ou ce besoin de s’exposer sur ses toiles, il ne faut pas croire que l’artiste marche sur les pas de Frida qui a eu cette même tendance.

« Frida Khalo est une artiste qui a trouvé sa vérité. Mais je ne pense pas à son travail quand je peins. »

Elle a continué à chercher sa propre vérité et pousser plus loin les moments de la création de son identité. Puis, elle a commencé à faire des réflexions sur l’histoire d’Haïti. Elle a cherché à se visualiser dans le passer pour peindre son présent. C’est alors qu’elle a donné naissance à Tessalines, son alter égo inspiré du farouche défenseur de la liberté et du bien-être des noirs, Jean Jacques Dessalines. À Tessalines, elle a donné une apparence qui évolue avec le temps, une vie et une histoire. Elle fait de cette femme aux cornes et aux écailles, sa force et son réconfort. Elle la fait représenter tout ce qu’elle n’ose pas être. Elle vit à travers elle, une libéralité peinturlurée dans ses fantasmes les plus troublants et sa plus profonde spiritualité.

N° 002 - Je peins donc je jouis : Une formule Tessalinienne de Mars

C’est pourquoi selon elle, peindre n’est comparable à aucune autre activité et la sensation qu’elle donne est inégalable. Elle nous a confié que : « Depuis l’envie et le choix de peindre, l’image qui bouge dans la tête, le choix des couleurs et la réalisation de la toile, il y a cette impression d’être seule au monde à flotter sur une grande eau. »

Elle a continué pour dire : « Je ne peux pas la comparer à un coup de foudre, pas même à un orgasme. Parce que c’est tellement mieux, tellement plus intense. Après une jouissance sexuelle, on passe à autre chose, puis on oublie. Mais après avoir fini de peindre, je continue à y penser. Je pense continuellement à cet héritage que je laisserai à toutes les femmes pour qui la peinture aurait un quelconque intérêt. »

N° 002 - Je peins donc je jouis : Une formule Tessalinienne de Mars

Plus qu’un héritage, moi j’ai eu une réponse : que ce soit dans le contexte sexuel ou suivant le principe de Tessa, le pinceau fait jouir.

@intimi'thé

Darline Gilles (Manzè Da)

Photographe: Gio Casimir

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