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Scandale d’exister

Martine Fidèle

Martine Fidèle

Je t’attrape dans ta chute. Mes reins explosent de ton corps. Par une solitude de fin de nuit, tu entres en moi; tel un gouffre béant, je ne sais où me cacher pour me défaire de tes yeux. Petite, cette histoire, prise entre deux blagues, aurait pu débuter par cet usage de chez nous d’ouvrir la narration d’un conte. Cric? Crac!

 

Dehors, on te raconte fort. À travers des cris d’étonnement, des expressions fortes, ils bourdonnent autour de tes plaies. C’est un moment d’effervescence. Tu traverses nue le monde. Regard terrifié. Visage tordu de douleur. Tu t’invites sous tous les toits. Sur toutes les lèvres défile ton image, et les gémissements qui animent leurs conversations se mêlent au plaisir de te voir sangloter.

 

Tu as seize ans. Tu les portes dans la honte. Dans la petite chambre, où ton corps passe de la convoitise à la bestialité, tu es allongée sur le dos, mains agrippées au drap, fesses suspendues. Fermement, un homme te tient les jambes. Il te les replie, les écarte et de son sexe, te cogne brusquement au-dedans. Tes yeux s'écarquillent. Tu grimaces et serres les dents.

 

Mon vagin sursaute par réflexe.

 

J'accoste dans tes tripes. Trois autres font la queue. Deux d’entre eux se masturbent. L’autre fait tourner la caméra de son téléphone. Ils te punissent d’une offense. Vous fréquentez le même quartier, depuis toujours; jamais tu n’as freiné ta marche pour une conversation. Ils t’ont harcelée à bout de souffle, jamais tu n’as acquiescé aux fantasmes. Ce soir, ton copain t’invite chez lui. C’est toute la bande qui te passe dessus. 

 

Ils rient. Te défoncent. Te tapent.

 

Tu t'essouffles. Tu pleures. Tu essaies de glisser par terre mais ils te rattrapent. Te retournent dans tous les sens. Te frappent.

Tes yeux tournent à l’envers. Tu cries pour te racler la gorge. Puis tu demandes pardon. Tu demandes pardon à tes bourreaux. Tu leur supplies d’arrêter.

           

Il fait chaud. Je tremble. Ce soir, mon homme est gonflé d’envie et veut me faire l’amour. Il me chuchote des douceurs. Elles me traversent comme une insulte. Ses doigts m'effleurent les seins. Je me raidis. Mon corps se ferme. Se terre en toi. Il respire mieux sous ces ruines-là.

 

Comment as-tu pu me retrouver?

 

Il y avait cette carpette. Puis son corps. Personne ne savait. Personne ne cherchait à savoir…

 

Toi, tu arrives, et de ta flamme qui meurt, inondes les réseaux sociaux comme un animal de boucherie. Tu ne peux même pas garder un peu d’intimité à ta honte! Ils t'exposent au zoo, creusent tes plaies, te grattent jusqu’au sang. D’autres se révoltent. En bonne justice, ils te font défiler sur les murs, encore, encore et encore, qu’on appréhende vite tes bourreaux.

 

Les matins reprennent leur place. La chaleur accablante d’été, la panne d’électricité sur le pays défrayent l’actualité.

 

Où cours-tu, toi, pour ne plus te revoir?

 

Martine Fidèle

 

Écorchées vivantes,

 

2017, Mémoire d’encrier

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