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Pourquoi lire les femmes?

Eléonore Amandine Coyette

Eléonore Amandine Coyette

En ce mois de mars, Publicad’elles a choisi de faire un focus sur les femmes autrices. J’ai pour ma part toujours porté une attention particulière au travail mené par des femmes. Non pas pour leur seule condition de femme, même si elles sont encore sous-représentées, mais parce que j’aime suivre les réflexions, interrogations et introspections que des femmes peuvent mener à travers l’expression artistique. Je cherche continuellement à me nourrir et m’interroger, à travers différentes sphères, différentes cultures, différentes visions loin des représentations basiques, binaires et clichées tristement perpétuées notamment par la presse dite « féminine » ou les dérives de la publicité. Il me semble urgent de se libérer des clichés autour de la question du genre qui ne servent ni les hommes ni les femmes. Être en mesure de reconnaitre avec lucidité notre soi profond, notre dualité propre, acceptant que l’on porte tous en nous une part masculine et féminine. Abolir les rapports de domination et d’opposition, et avancer en tant qu’humains avec nos forces et nos faiblesses, dans la complémentarité.

 

« Ce que nous faisons de pire aux hommes – en les convainquant que la dureté est une obligation -, c’est de les laisser avec un égo très fragile. Plus un homme se sent contraint d’être dur, plus son égo est fragile. Quant aux filles, nos torts envers elles sont encore plus graves, parce que nous les élevons de façons qu’elles ménagent l’égo fragile des hommes. Nous apprenons aux filles à se diminuer, à se sous-estimer » Chimamanda Ngozi Adichie

 

J’ai toujours eu un rapport très intuitif à la lecture, je ne me force pas à poursuivre un texte qui ne m’emmène pas,  je préfère simplement le reporter à plus tard, lui donner le soin d’arriver au bon moment dans ma vie. J’aime ces livres qui allument les sens, explorent notre complexité, touchent notre poésie intérieure, réactivent nos engagements, éveillent notre sens intime du beau…

 

Dans le cadre de cet article, j’ai choisi de vous parler de trois textes, écrits par des femmes, qui m’ont récemment marquée.

 

Le premier s’intitule « Le restaurant de l’amour retrouvé » de l’écrivaine japonaise Ito Ogawa. Ce roman nous raconte la vie de Rinco, une jeune femme japonaise, qui, du jour au lendemain, se retrouve forcée de rentrer chez sa mère avec qui elle n’a jamais eu de bons rapports. Déboussolée, elle décide d’ouvrir son propre restaurant, dans lequel il n’y aurait qu’une seule table. Ce roman contemplatif et olfactif,  mêle subtilement l’intime et le sensoriel, autour des thèmes de la rupture amoureuse, du don, de la relation mère-fille, du respect de la terre. J’ai rarement senti autant d’odeurs et goûté autant de saveurs qu’avec ce livre entre les mains. Rappelant une nouvelle fois le pouvoir fascinant de la lecture. Un moment suspendu délicat, poétique, coloré et profondément empreint d’amour.

 

« L'idée qui m'était venue, à force de me creuser la tête, c'était de traduire l'éventail des émotions avec des plats très sucrés ou très épicés, un menu aux saveurs contrastées, stimulantes. Que des plats aux goûts inconnus pour la favorite. Je voulais préparer un repas qui, comme la sonnerie d'un réveil, ranimerait ses cellules plongées dans une profonde léthargie, les galvaniserait. » Le restaurant de l’amour retrouvé, Ito Ogawa

 

Dans un autre registre, lors du Festival 4 Chemins, je me suis rendue à la lecture d’Écorchées vivantes sous la direction de Martine Fidèle par Anyès Noël. J’ai pris place à La Pléiade sans savoir à quoi m’attendre. Autant dans le texte d’Ito Ogawa, c’est mon nez qui était en éveil, autant dans ce cas-ci c’étaient mes tripes qui ressentaient le texte. Subjuguée, admirative mais surtout rassurée de voir cette parole vibrante qui se libère par ces textes coup-de-poing et dénonciateurs.

 

« Nous sommes ensemble, Écorchées vivantes, nues ; nous léchons, debout, nos blessures. Saleté, petitesse, actes manqués, drames faciles, bourreaux oubliés, rapports de corps et d’oppression, prostitution déclarée, attentat sur nos chairs et nos esprits jusqu’à voir en nous rien que des objets de désir. » Écorchées vivantes, Martine Fidèle

 

Pour terminer, un livre plus ancien de l’autrice anglaise Virginia Woolf, basé sur une série de conférences sur le thème de « la fiction et des femmes » prononcée en 1928 à l'université de Cambridge. Ce texte visionnaire, devenu un classique de la pensée féministe, interroge la condition de la femme à travers les siècles et plus précisément sa place dans le roman. Marqué par la rupture sociale de l’après-guerre, il propose une réflexion empreinte de doute et de questionnements, tout en insistant sur l’importance de laisser à chacun le soin de se faire une opinion. Ce qui marque le texte, c’est l’élan que Virginia Woolf tente d’insuffler à toutes les femmes de son époque en les encourageant à prendre la plume avec liberté et indépendance.

 

 « Tout cela, il faut que vous l’exploriez, tenant fermement votre torche dans la main. (…) Mais, avant tout, il vous faut éclairer votre propre âme, ses profondeurs et ses bas-fonds, ses vanités et ses générosités, dire ce que signifie à vos yeux votre beauté ou votre laideur, quels sont vos rapports avec le monde mouvant, tourbillonnant, (…) Je devrais vous supplier de penser à vos responsabilités, de vous élever, de faire une plus grande part aux choses de l’esprit, je devrais vous rappeler combien on compte sur vous et quelle influence vous pouvez exercer sur l’avenir.(…) Il est beaucoup plus important d’être soi-même que quoi que ce soit d’autre. »

Une chambre à soi, Virginia Woolf

 

Je ne dirais pas que je lis « les femmes », ce qui reviendrait à dire que je néglige le contenu sous prétexte de leur seule condition de femme. Non, je préfère dire que je lis « des femmes » dont le talent me touche et dont les combats rejoignent les miens. Au même titre que « La » femme n’existe pas, « La littérature féminine » non plus. Il y a autant de livres que de femmes différentes, et il en va de même pour les hommes.

 

Pour conclure, je dirais que je lis pour me connecter aux diverses expressions du réel, pour me sentir en éveil. Garder un cœur qui bat, un poing qui se serre, un souffle qui s’émerveille, un nez qui n’oublie rien et des yeux qui ne sèchent pas.  

 

Pour paraphraser Frantz Fanon, « Ô mon corps, fais de moi toujours une « femme » qui interroge ».

 

Eléonore Amandine Coyette

@moijelis

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