21 Juillet 2018
Très souvent, lors de certaines discussions, des amis me reprochent en tant qu’étudiante en droit et en communication sociale d’avoir un penchant qu’ils qualifient « déséquilibré » pour la littérature et l’art. Quelquefois je suis même ridiculisée et taxée sur mon sexe par rapport à mes goûts littéraires. Comme quoi il y a une tendance à féminiser la littérature ou quelques catégories, notamment le roman. J’ai bien en tête au moins quatre personnes qui me sortent directement : « fanm yo di w oui, se roman pou y ap li vre »[1]. Évidemment je proteste, j’essaie de m’expliquer comme si j’étais surprise en flagrant délit quand j’emporte avec moi mes romans alors que mes copies (qualifiées de texte scientifique par mes amis) de la fac s’accumulent dans un coin de ma chambre. Je ne prétends pas que laisser augmenter le nombre de ces lectures académiques dites scientifiques, pour reprendre mes amis, est moins important par rapport au fait de dévorer un roman, par exemple. Mais ce qui est révoltant, à bien y penser, c’est toujours cette façon qu’a le sexe mâle de nous faire gober n’importe quoi et de nous dire que par rapport à eux nous sommes inférieures si notre centre d’intérêt est en quelque sorte opposé. Parce que, d’où peut provenir cette idée de féminiser la littérature, le roman ? Il me semble que tous ou quasiment tout le monde savent qu’il y a pas mal d’écrivains de sexe mâle et ils sont majoritairement plus connus que les femmes dans une certaine mesure. Je poserai la question : «pourquoi les écrivains hommes sont majoritairement mieux connus que les femmes ? », pour établir le travail cognitif de ma démarche mais je ne vais pas tenter d’apporter des éléments de réponse car cela peut être un sujet de discussion à part entière. Mais curieusement, la place et le statut des femmes dans l’histoire littéraire prête à une discussion et je ne saurais m’en passer dans ce texte.
Historiquement, les femmes sont les initiatrices du genre romanesque. Pour faire valoir ses écrits, la femme devait se battre. Ce qui souvent était un cri, un affront à l’ordre masculin établi. L’auteure de la très complète encyclopédie Le XXe siècle des femmes, Florence Montreynaud énonce comme suit : « Si l’on regarde l’Histoire, le roman a été inventé par les femmes, parce qu’elles n’avaient pas accès aux genres nobles. On leur interdisait l’éducation, la poésie…C’est ainsi que La princesse de Clèves de Mme de la Fayette est considérée comme le premier roman psychologique moderne. Mais on n’aborde pas de la même manière un livre signé par un homme ou par une femme. Il subsiste un conditionnement sociologique. »
S’il est vrai que le genre romanesque est la création des femmes, je peux dire qu’à un certain moment les écrivains de sexe mâle se sont appropriés de la narration comme forme d’écriture. Et comme il est dit dans l’extrait du XXe siècle des femmes, on n’interprète pas un livre écrit par un homme ou une femme de la même façon, même si certains affirment vulgairement que l’écriture et la lecture d’un roman est l’affaire des femmes.
L’auteur Irène Frain, par exemple, aurait aimé avoir un pseudonyme d’homme. « Je suis sûre, affirme-t-elle, que l’on ne m’aurait pas lue de la même façon.» Pour elle, l’écriture dite fémmine est liée souvent au sentimentalisme dans le mauvais sens du terme, avec tous les stéréotypes de l’histoire des formes de domination dont les femmes ont été les victimes. Alors faut-il choisir un pseudo masculin pour avoir le mérite de son œuvre ? Amantine Lucile Aurore Dupin en est l’exemple. Sous le pseudo de Georges Sand, elle se cachait sur un nom très aristocratique. Ces formes de pratiques devraient-elles se reproduire dans cette période précise où les femmes mènent une lutte pour s’affirmer ?
Parallèlement à ces écrivaines qui pensent qu’un nom masculin pourrait jouer en leur faveur, de nombreuses romancières contemporaines réfutent cette étiquette d’écriture féminine. L’écrivaine Régine Deforges pense avoir un lectorat autant masculin que féminin. De son côté, la romancière Françoise Chandernagor estime que le milieu littéraire se montre beaucoup plus antiféministe que la haute administration. Ce qui pourrait bien en surprendre plus d’un avec toutes ces vagues de féministes qui écrivent. Je constate dans mon entourage qu’il y a cette forme de préjugé qui se pose autour de la figure femme dans le cercle littéraire qui mériterait d’être, à mon humble avis, un sujet de recherche très important. Par exemple, j’ai entendu quelques hommes cadres et même des camarades de fac, faisant une sorte de comparaison « disproportionnée » dire que tel écrivain est peu brillant par rapport à sa sœur écrivaine dans le fond. Mais de la promotion sociale, l’homme en sort gagnant. Comme quoi l’écrivaine reste à l’ombre de son frère. On élargir le cadre, discuter et poser les problèmes après maintes observations et vérifications, comme la démarche de l’esprit scientifique le requiert.
Tout écrivain cherche à se surpasser. Il ou elle se remet en question bien souvent dans l’ombre. Au lieu de parler d’écriture féminine, je pense il faudrait rappeler qu’il y a également et même de très nombreuses femmes qui écrivent. Pour les « niaiseries » qui existent en littérature, ce n’est pas le lot des femmes. Ce ne sont pas seulement les femmes qui produisent un travail dont la critique peut-être acerbe. Sans vouloir être naïve et en essayant de ne pas produire une réflexion peu subtile, je pense que c’est le travail de la personne qui détermine son mérite et non son sexe. Après on peut toujours en discuter sur les autres problèmes /phénomènes liés à la question du sexe (comme l’exemple que j’ai mentionné sur la promotion sociale de l’homme par rapport à la femme), puisque c’est une réalité sociale.
En guise de synthèse, la littérature est vue également comme une expression de vulgarisation scientifique. Elle est non seulement au service de la science (les découvertes, les anticipations), au service l’histoire (si l’on veut bien comprendre on doit se plonger dans la littérature de l’époque) et de plus on ne peut pas écarter la littérature issue du génie féminin. Et si je devrais ouvrir la discussion, j’oserais parler des femmes de science qui n’ont pas grand-chose à voir avec la littérature, pour le mieux que je puisse dire, mais qui participent à un monde où l’égalité et l’équité est de mise en réaffirmant la théorie de Simone de Beauvoir: « on ne naît pas femme, on le devient ». Pour dire que le sexe est biologique, le genre social est une catégorisation, une construction sociale.
[1] Les femmes ne peuvent s’intéresser qu’aux romans.