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Déjà en prison, mais punies pour avoir apprécié une pièce de théâtre à caractère révolutionnaire

Crédit Photo: MINUJUSTH/UN

Crédit Photo: MINUJUSTH/UN

 « Gouyad Senpyè », une pièce de théâtre écrite par Darline Gilles et  mise en scène par Anyès Noël, a été sur les planchers de la prison civile des femmes, à Cabaret, le vendredi 5 avril 2019. Une représentation chaudement ovationnée par les prisonnières qui, par la suite, ont été punies pendant les cinq jours ayant suivi la représentation.

 

« Gouyad Senpyè », met sous les feux des projecteurs la vie des femmes haïtiennes dans les centres de detention du pays. Des femmes qui souffrent et subissent de mauvais traitements pendant les temps de leur incarcération et, attendent impatiemment d’être comparues par devant leur juge naturel. Une représentation qui dévoile les arrestations arbitraires et illégales, les conditions infrahumaines dans lesquelles vivent les détenues, l’état d’insalubrité des centres, la surpopulation carcérale. cette pièce de théâtre traduit la réalite de ces femmes qui ne mangent pas à leur faim, ne jouissent d’aucun temps de loisir et de programme d’éducation et de réinsertion sociale. « Gouyad Senpyè » traduit également les espoirs, les rêves et les envies de ces femmes-là de vouloir plus, tandis qu’elles n’ont rien. Parce que, malgré tout, elles gardent encore la force de lutter pour regagner leur liberté.

Les comédiennes Jenny Cadet, Wilda Jocelyn, Penina Midi, Daniela Julien, Johane Louis, Fabiola Rémy, Darline Gilles, Nathalie Labonté, Lucenda Boucard et Minouse Delva, ont, par leur jeux scéniques, porté l’assistance, composée essentiellement de détenues et des responsables de la prison, et des quelques personalités du système judiciaire, à voir en « Gouyad Senpyè » une représentation très controversée. Laquelle représentation a particulièrement été très appreciée par prisonnières. Il faut souligner aussi que cinq (5) de ces comédiennes ont été des anciennes détenues…

« Gouyad Senpyè » a été joué de nombreuses fois à Port-au-Prince.

Punies pour avoir crié trop fort : « Oui, c’est vrai. »

À chaque scène de « Gouyad Senpyè » décrivant de manière cru la réalité des détenues dans ce centre d’incarcération du département de l’Ouest, les prisonnières ont hurlé leur joie, ont applaudi et ont scandé de toute leur force : « Oui, c’est vrai. » ou « Ça va » qui veut dire que c’est tout à fait ça. Une attitude qui n’a pas été sans conséquence. Pendant les cinq (5) jours ayant suivi cette représentation théâtrale, les gardiens ont choisi de les sanctionner. Les incarcérées n’ont pas eu accès à l’eau, à l’électricité, au téléphone pour appeler leurs familles, elles n’ont pas eu droit aux visites.  Les autorités pénitantiaires estiment qu’elles n’auraient dû approuver le contenu de la pièce; qu’elles n’auraient pas dû applaudir à ces « mensonges ». De par leurs réactions, elles sont accusées de perturber l’ordre carcéral.

À noter, que les prisonnières ont toujours eu un comportement pacifique, malgré la double injustice qu’elles ont subi.

Pauline Lecarpentier, l’une des responsables du Bureau des droits humains en Haiti (BDHH) qui offrent de l’assitance légale aux détenues, a fait savoir, qu’à un moment de la représentation, elle était très inquiète de la réaction des détenues. «  je me suis demandé si elles ne faisaient pas face à une forme de dépression ou en train de se révolter. Je me suis rendu compte que c’était leur facon de témoigner leur appréciation pour la pièce. Elles l’ont tellement aimé que bon  nombre d’entre elles ont affirmé vouloir également être comédienne dans la pièce », a précisé Pauline Lecarpentier.

Pendant un peu plus d’une heure, ces femmes dont la majeure partie sont victimes de la défaillance du système judiciaire du pays de la detention preventive prolongee ont vu, entendu leur histoire racontée par la bouche, les mains, la voix et le corps des comédiennes, des personnes du dehors de la prison. Elles ont compris que leur vie, leurs turpitudes n’étaient pas totalement ignorées ou occultées par le reste de la société. Elles ont eu l’impression que leurs souffrances, leurs peines comptent aussi pour d’autres.

Paradoxe d’une réaction après la pièce

Quelque temps plus tard, la réaction des autorités judiciaires présentes lors de la représentation de « Gouyda Senpyè » a été très positive. Dix-huit (18) prisonnières et deux (2) prisonniers ont été libérés. Une action qui a donné aux détenues et aux travailleurs des droits humains de la BDHH un vrai regain d’énergie et de confiance dans le système judiciaire haïtien. La pièce a pu mettre en relation les détenues et les responsables judiciaires, ces deux acteurs de cette histoire qui n’est pas obligée d’être tragique à chaque fois. Doyens, magistrats et avocats présents ont pu comprendre qu’ils sont en train de traiter avec des vies humaines, des désirs, des espérances et des souhaits. Et une signature qu’ils refusent d’aposer sur un morceau de papier peut tout détruire ou signifier la fin d’un calvaire pour une personne. Toute la distanciation qu’impose le système a été réduite grace à « Gouyad Senpyè ».

D’un autre côté, la pièce a été très mal accueillie par certains responsables de la prison qui ont pris les accusations et dénonciations de la pièce de manière personnelle. Ils se sont sentis lésés face a la réalité dépeinte dans la pièce. Car la situation des détenues s’est nettement améliorée depuis la reconstruction de la prison civile pour femmes de Cabaret. Les scènes présentées dans la pièce ne reflètent plus le train-train quotidien des détenues, et elles ne rendent pas justice aux nombreux efforts qu’ils consentent à faire marcher la prison. Sans oublier que cette représentation est une première dans l’histoire du milieu carcéral, où des autorités ont accepté de faire passer une pièce aussi révolutionnaire. Et c’était encore plus étonnant le fait que c’étaient les responsables de la prison eux-mêmes ont demandé qu’elle soit jouée dans l’enceinte pour les détenues, a partagé avec nous, Mme Lecarpentier.

En fin de compte, il est très triste de voir que le directeur de la prison n’a réagi publiquement que sur des détails de la pièce. Il a essayé de se défendre en disant que ces injustices décrites ont aujourd’hui rapport avec la prison civile pour femme de Pétion-ville, mais pas à Cabaret. Par exemple, la question de l’entassement des prisonnières n’est plus d’actualité chez eux. Ce responsable n’a pas réussi à comprendre que « Gouyad senpyè » ne s’attaquait pas de manière personnelle à son travail ou ses réalisations en tant que directeur, mais au système judiciaire tout entier. Elle rapportait les faits liés à la détention préventive et conditions infamantes des prisonnières. Quant aux policières, elles ont paru plus sereinnes pour Mme Lecarpentier. Celle-ci  confie qu’elles étaient gentilles, parce que là-bas, ils n’ont pas vraiment enregistré des comportements agressifs de la part des détenues. Néanmoins, elles se sont plaintes du fait que les gens des droits humains ne s’intéressent pas du tout à leurs conditions a elles qui ne sont pas vraiment resplendissantes.

 

Hervia Dorsinville

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