22 Décembre 2016
Je suis allé vers les livres dès le début des années 1994, alors que j’avais 13 ans. Le Séminaire collège de Mazenod, à Camp-Perrin, tenait un journal estudiantin, Le Mazenodien, qui sortait tous les mois et qui avait attiré beaucoup d'élèves vers la recherche et les livres. A ce moment-là, c’était le challenge, tout le monde se mettait à lire. Et depuis, le livre est devenu une préoccupation jusqu’à mes rencontres, 10 ans plus tard, avec les amis de la Bibliothèque Justin Lhérisson qui ont mis sur pied un atelier portant le nom de Marcel Gilbert, pour encourager la recherche tant en littérature qu’en science.
Alors, que dire aujourd’hui qui n’est pas le fruit ou la somme d’une certaine lecture ? Que faire, sinon la répétition d’une attitude ou d’un geste d’un personnage de science fiction, ou imaginaire d’un texte romanesque ou poétique ? Je lis pour accepter que l’autre soit un exemple à appréhender sans néantiser mon moi, ma propre conscience des choses.
Je lis à la fois pour accepter cette vision de l’autre des choses, et pour le nier selon mes propres raisonnements, mes folles coïncidences de ce que je sais ou de ce que j’ignore. Comme si lire était pour comparer les erreurs. Comparer les actes et leurs conséquences. Lire pour étudier le monde qui m’entoure par mes propres comportements, mes propres rejets.
Lire c’est aussi, au-delà de toutes ces considérations d’ordre philosophiques, renaitre. Apprendre à marcher, à sourire, à parler, comme l’enfant qui, chaque jour, apprend de nouvelles choses, de nouveaux mots. Lire c’est écouter l’autre parler, l’écouter chanter, crier, sentir. Apprendre à travers ses expériences, ses joies et ses misères. C’est participer à la sensibilité du monde.
Cette sensibilité du monde est telle qu’elle invite chaque personne au partage. Celui qui souffre ou sourit le transmet dans son environnement, dans son lieu de subsistance ou de résistance. L’écrivain le transmet aussi dans son livre qu’il concocte, seul dans sa case, loin de toutes influences sociales, politiques et culturelles. En lisant son bouquin, nous nous sommes emportés dans une sorte de transe, dans son propre univers, oubliant parfois nos propres entendements. Sa sensibilité nous traverse tellement que nous sommes attirés par son histoire qui tend à chaque fois à devenir la nôtre.
Je lis pour mettre en cause l’autre. Contester sa logique et le confronter. Lire c’est toujours une sorte de confrontation d’idées, de logiques, de formules, et même dans l’utilisation des mots de l’autre. Lire pour déconstruire et décortiquer afin d’arriver à ma réelle construction. Je ne sais ce que j’écris qu’en lisant l’autre. Qu’en comparant ce qu’il écrit, je sais me faire une idée de ce que je suis ou ne suis pas, de ce que je sais et ne sais pas, de ce que je comprends et ne comprends pas.
Lire c’est enfin s’offrir au monde. Offrir ce que l’on croit savoir. Je ne sais pas qui a déjà écrit sans penser à l’autre, mais moi j’écris en pensant constamment à l’autre. Sans qu’il ne soit au-dessus de ma pensée ou de mes idées premières. Je lis l’autre pour ne pas mourir de l’intérieur et pour cesser de n’obéir qu’à moi-même. Laisser l’autre partager ce qui, du plus profond de lui-même, reste et demeure important.
Parfois, on n’a comme l’impression que ce qu’on pense, ce qu’on vit au jour le jour, ce qu’on respire est le plus important de tout. Lire, c’est voir cela différemment. C’est s’ouvrir, laisser ton cœur, ton corps, investir par l’autre. Lui laisser me toucher, me pénétrer du plus profond de moi-même, avec ses mots qu’il croit provenir du plus profond de lui-même.
Jean Emmanuel Jacquet
@moijelis