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N° 026 - Je lis pour contrer le supplice du vide

Jean D'Amérique

Il m’était arrivé une première fois de me cogner contre un livre (Mûr à crever de Frankétienne) et récolter un chant de tournis, une rasade de bouleversements. Je suis tombé amoureux de cette sensation d’orage, de cette vibration solaire. J’en ai fait rituel et à ce jour, j’ai déjà collectionné pas mal de merveilles. En lisant L’Ombre animale de Makenzy Orcel, j’avais envie de mourir, j’avais envie de mourir pour habiter la voix de cette narratrice déchirée par le feu de la parole depuis sa tombe, j’ai senti la mort si savoureuse… Ou encore en acceptant cette proposition de Joseph Andras (De nos frères blessés) sans savoir que j'allais finir en prison pour la lutte contre des ennemis de la liberté, absorber la torture, souffrir avec l'Algérie... J'ai aimé vivre cette grande colère, j'ai senti ça tellement nécessaire.

Mon souffle a la vingtaine et je vis dans un champ d’êtres dont les lignes prennent très souvent des tournures obscures et tellement aptes à m’enfermer que je m’applique parfois à ramper au large des pages pour constater, à l’instar d’Amin Maalouf, « que la terre est vaste ». Je lis pour contrer le supplice du vide. Au même titre que je prends les rues d’une ville, en ouvrant un livre je voyage au fil des mots, j’arpente des mondes, je rencontre des gens que j’arrive à aimer, là je pense à Hilarion, un jeune homme que m’a présenté Jacques Stephen Alexis lors de mon premier voyage dans le pays de Compère Général Soleil, il est devenu l’un de mes meilleurs amis.

Tant de soleils ramassés au passage.

Et je pourrais lécher la main de Castera pour résumer ce que je me suis imposé depuis un temps, une mise en garde chère à la gourmandise de mon esprit : « prends les livres en otage ».

Toutefois, c’est capital pour moi de poser un feu rouge. En ce qui me concerne, pour autant que j’aie raflé plein d'étoiles par le chemin des livres, je ne pense pas qu'on doit exiger à tout le monde d'emprunter la même route et encore moins de leur indiquer des lectures, des pas à marquer. Comme dit Christian Bobin, « la lecture ne peut se commander. Il en va de la lecture comme d'un amour ou du beau temps ». Je ne pense pas que c’est important pour tout le monde de lire. Et c'est pourquoi ici j'évite d'être aussi perturbant que ces gens qui disent à d'autres qu'« il faut lire » alors que ces derniers ont d'autres passions, parfois efficaces au même titre que la lecture. Certains lisent des récits et voient leur capacité d’imagination s’aiguiser; j’ai aussi des potes qui, en regardant un match de foot à la télé, sont capables de constituer tout un récit époustouflant sur ce que pouvait être telle phase de jeu si tel joueur était là, mettent des mots inédits sur la langue de gens jamais rencontrés et tout. J’avoue que c’est impressionnant pour moi qui passe plusieurs jours à donner une phrase à un personnage quand j’écris. Ce qu’apporte un livre, je ne suis pas très sûr qu’il n’y a que là qu’on peut le trouver. Y a des gens qui lisent et ça leur fait du bien, tout comme certaines personnes parlent beaucoup et s'en réjouissent, d’autres passent des journées à être heureuses dans un jeu vidéo… Et puis ce n’est pas tout à fait vrai qu’il faut absolument lire pour meubler son esprit. Voyons, les yeux ouverts sur toutes les lignes possibles, les pores libres aux vertiges du monde et les oreilles tendues à tous les échos, on lit autant de livres en livrant quelques pas dans une ville, on apprend autant.

Bref, il ne faut pas de tout pour vivre. Moi j'essaie de me dire toujours que je ne peux pas vivre sans lire, mais c'est avant tout un prétexte pour tenter de justifier quelque chose que j'aime et qui m'est utile, voilà.

 

Jean D'Amérique

@moijelis

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